Rencontre avec le peintre local X : quand les objets du quotidien deviennent personnages
Il y a quelque chose de magnétique dans l'atelier de X. Les murs sont couverts d'accumulations d'œuvres en devenir, de carnets griffonnés, et au centre, une table où s'empilent des fragments de vie : tasses ébréchées, manches de brosse à dents, une lampe de chevet Ikea, une vieille radio des années 70 chinée sur Le Bon Coin. Ce qui pourrait passer pour du bazar est en réalité le terreau de séries picturales puissantes, délicates et drôles à la fois. J'ai passé une matinée avec lui pour comprendre comment naissent ces collections à partir d'objets ordinaires.
Pourquoi les objets ?
Je commence toujours par la question la plus évidente. Pourquoi travailler à partir d'objets ? X sourit et répond avec une simplicité déconcertante : « Parce qu'ils racontent sans parler. » Pour lui, une tasse cassée, un pull usé, un bouchon de bouteille portent l'histoire d'un geste, d'un accident, d'une habitude. Ils sont des traces matérielles du vivant. Travailler sur ces traces, c'est composer des récits silencieux.
Cet attachement à l'ordinaire n'est pas purement nostalgique. X évoque la démocratisation des images et l'envahissement du spectaculaire. En peignant des objets modestes, il cherche à rendre à l'attention sa forme la plus simple : observer. Il veut que le spectateur s'arrête, reconnaisse, et projette sa propre mémoire dans l'œuvre.
Du choix de l'objet à la composition
Le processus commence toujours hors de la toile. X parcourt des marchés, des brocantes, ou fouille chez des amis. Parfois ce sont les objets qui le trouvent : on lui offre une boîte de clés qui devient une série entière. D'autres fois, il repart d'une forme, d'une couleur, d'une fonction qui l'intrigue.
- La sélection : il choisit selon l'ergonomie de l'objet (son ombre, sa silhouette), son usure, et ce qu'il laisse deviner d'une vie.
- La mise en scène : il photographie, repositionne, joue avec des éclairages artificiels ou naturels pour tester les ombres.
- La répétition : une fois l'objet choisi, il n'en fait pas une peinture isolée mais une série qui explore variations et répétitions.
Je l'ai vu ajuster la distance entre deux tasses imaginaires sur sa table, calculer mentalement l'espace négatif, puis noter trois esquisses rapides. « La série, dit-il, me permet d'explorer une hypothèse : et si ce sabot était vu de face, de côté, dans une lumière rase, dans une lumière douce ? »
Méthodes et matériaux : entre tradition et expérimentations
X travaille essentiellement à l'acrylique et à l'huile, selon l'effet souhaité. Il utilise des marques comme Golden pour l'acrylique et Old Holland pour certaines pigments à l'huile, mais avoue aussi aimer les médiums moins prestigieux comme Liquitex pour leurs temps de séchage rapides.
| Étape | Matériaux courants |
|---|---|
| Esquisse | Crayon, fusain, carnet Moleskine |
| Couche de base | Acrylique (Golden), gesso |
| Finitions | Huile (Old Holland), vernis mat ou satiné |
| Supports | Toile, panneaux de bois (contreplaqué), cartons réutilisés |
Il aime les supports non conventionnels — panneaux de bois récupéré, cartons — qui portent déjà des traces. Pour X, la matérialité du support dialogue avec celle de l'objet peint. Parfois il colle des fragments (morceaux de tissu, papier, étiquette) sur la toile, créant une hybridation entre peinture et collage qui renforce l'idée d'archive personnelle.
De l'idée à la série : narrative et contraintes
Beaucoup s'interrogent : à quel moment une série est-elle terminée ? X ne travaille pas au hasard. Il définit souvent une contrainte initiale — palette restreinte, format unique, ou même une règle formelle (peindre toujours l'objet sur fond blanc, par exemple). Ces contraintes sont des moteurs créatifs : elles obligent à l'invention.
La série se lit comme une variation musicale. Il me montre une suite de toiles où une cuillère change d'échelle, de couleur, et parfois disparaît presque sous une couche de peinture. « Je cherche à créer des tensions — entre familiarité et étrangeté, entre lisibilité et effacement », dit-il. Les séries fonctionnent comme des petits récits : un motif revient, se modifie, devient signifiant.
Le rôle du spectateur
X affirme vouloir laisser une place au regardeur. Il n'explique pas tout : parfois il aime que la peinture « plante une question ». Pour lui, la force d'une série issue d'objets ordinaires tient dans la capacité du spectateur à projeter. Une vieille chaise peut évoquer la grand-mère, une boîte d'allumettes un début de conversation, et la toile devient miroir.
En exposition, il joue aussi avec l'accrochage : alignements serrés, décalages, ou installations où les objets originaux sont présentés côte à côte avec les peintures. Cet échange direct entre réel et représentation intensifie la lecture et crée un dialogue agréable et presque ludique.
Sourcing responsable et économie de récupération
La question de l'éthique revient souvent. X privilégie la récupération : brocantes, dons d'amis, troc. Il refuse l'achat massif d'objets neufs pour ses séries, par souci de cohérence et de durabilité. Les matériaux de support proviennent souvent de restes de chantiers ou de cartons réemployés, et il n'hésite pas à mentionner des ateliers locaux qui lui fournissent parfois des panneaux à prix modiques.
Il a aussi conscience du marché : une série bien accueillie peut s'exporter, mais X essaie de garder une relation honnête avec les collectionneurs. Les prix sont pensés pour rester accessibles, et il propose parfois des tirages limités ou des petites pièces à des tarifs abordables.
Conseils pour les amateurs et les jeunes artistes
Avant de partir, je lui demande un conseil pour ceux qui voudraient tenter l'aventure de la série à partir d'objets. Il me donne trois recommandations simples et sincères :
- Commencez petit : une série peut débuter avec trois œuvres. L'important est la contrainte, pas l'ampleur.
- Choisissez des objets qui vous touchent : la sincérité du geste se lit dans la peinture.
- Gardez un journal visuel : photographiez, notez les essais d'éclairage, conservez les échecs — ils apprennent autant que les réussites.
Je repars de l'atelier avec une tasse cassée que X a insisté pour me donner. Ce petit présent symbolise bien sa démarche : rendre visible l'invisible, transformer l'ordinaire en phénomène, et nous offrir, par la peinture, des fenêtres pour regarder autrement nos vies quotidiennes.